Retourner à la page
Du Sentiment d’Être Bloqué.e

Du Sentiment d’Être Bloqué.e

Le sentiment d’être bloqué, coincé, limité : ça vous parle ? Piégé dans un état, à la fois animé par un puissant désir d’avancer, d’aller de l’avant, de dépasser les obstacles ; et contraint par une pulsion toute aussi forte de ne pas bouger, ne pas changer le statut quo, aussi contrariant soit il. Par exemple, nous pourrions désirer quitter notre job dans la finance pour nous reconvertir dans l’architecture – et nous trouver assailli par une montagne de doutes, d’hésitations, de contre-arguments et de culpabilité. Nous pourrions avoir l’intuition de vouloir quitter notre couple et simultanément nous sentir incapable d’imaginer une alternative réaliste à la situation actuelle. Agir semble horrible, et ne rien faire semble tout aussi destructif. Toutes les avenues semblent bloquées. Et donc, on rumine, on tourne et on retourne incessamment la question dans sa tête jusque tard dans la nuit, on épuise la patience des thérapeutes – et on voit notre vie passer avec anxiété et un croissant dédain de soi.

En tant qu’observateur, ami, nous pourrions être tenté de suggérer des solutions, des moyens potentiels d’amélioration : « et si tu t’inscrivais à un programme pour voir si le nouveau domaine de travail te plait ? Pourquoi ne pas discuter de tes insatisfactions avec ton partenaire ? Et si tu tentais une thérapie ? Et une séparation provisoire ?” Très probable, cependant, que votre ami ne parvienne pas à avancer dans la résolution de son dilemme, qu’importe ce que vous puissiez lui dire. Il semble être soumis à une loi qui l’empêche de progresser ; une loi qui n’existe pas dans la constitution nationale, mais qui serait fermement inscrite dans sa constitution personnelle. Cette loi aurait des déclinaisons diverses : assure-toi de ne pas être satisfait.e par ta carrière ; assure-toi que ta relation ne soit pas gratifiante, ni laissée à l’abandon ; assure-toi de ne pas être heureux.se là où tu vis.

Pour capter, et comprendre, la source de ces lois, il convient de regarder en arrière. Une enfance difficile dans une famille compliquée, par exemple, est une circonstance propice à l’origine d’une telle loi restrictive, sournoisement implicite, et dont l’impact réverbère sur l’ensemble de notre existence. Ces lois peuvent être entendues des manières suivantes (liste évidemment non-exhaustive) : « Fais attention à ne pas briller, ça blesserait ta petite sœur » ; « Tu dois être joyeuse.x et gai.e pour me protéger du retour de ma dépression » ; « Ne laisse pas ta créativité s’épanouir parce que ça me rappellerait mon envie aigrie » ; « Rassure-nous de notre intelligence en étant le.a meilleur.e à l’école » ; « Il faut que tu réussisses pour que nous soyons en paix avec nous-mêmes », « Tu me décevrais si un jour tu devenais audacieux et sexuel. »

Bien que ces « commandements » ne soient jamais vraiment exprimés aussi explicitement (ils ne seraient pas aussi puissantes  si ils l’étaient), ils n’en sont pas moins intégrés pour autant. Ils cadrent notre personnalité au cours de l’enfance et de l’adolescence, puis, au départ du nid familial, ils continuent de retenir nos personnalités de s’épanouir avec authenticité. Toutefois, ce n’est pas forcément évident de voir en quoi les blocages d’adulte sont liés à ces « commandements » de l’enfance. Certes, il n’est pas évident de faire le lien entre notre réticence d’être force de proposition au bureau, et notre relation à notre père, 30 ans auparavant. Cela dit, il semble légitime de s’aventurer et d’énoncer le principe suivant : tout blocage de long-terme est probablement le fruit d’une « loi » intégrée inconsciemment pendant l’enfance. Et, à présent, nous nous trouvons bloqués par le devoir de loyauté à une idée semée dans le passé. On s’interdit alors de faire ou sentir quelque chose parce que cela menacerait quelqu’un qui nous est cher ou de qui l’on dépendrait.

Une des avenues principales de libération est pavée de la compréhension de ces « lois et commandements ». C’est en dévoilant et en décryptant la logique perverse et inutile de ces dernières, que nous pouvons nous en émanciper. Nous pouvons commencer en nous posant la question qui consiste à savoir si il pourrait, sous le problème pratique auquel nous faisons face, y avoir une de ces lois de l’enfance à l’œuvre qui nous inciterait à ne pas changer, à ne pas bouger. Nous pourrions creuser le problème, à la recherche de la structure émotionnelle sur lequel il serait fondé (l’architecture = la créativité que papa me reprochait, n’ayant jamais pu l’épanouir lui-même ; le désir sexuel = la frustration de maman, pourtant si aimante). Nous pourrions découvrir que ce qui explique notre incapacité à quitter la finance au profit d’une activité plus imaginative, est le fait qu’à l’enfance, nous n’avions pas eu d’autre choix que d’accepter la « loi » qui dictait qu’il était impossible de réussir, et gagner sa vie tout en épanouissant sa créativité (histoire de protéger son père de son regret envieux ). De même, il nous est impossible de quitter son mariage parce que, inconsciemment, nous buttons contre un commandement de l’enfance qui impose que le bon enfant renonce à ses pulsions physiques et viscérales.

Bien que les spécificités de ces lois varient, leur existence, et leurs origines enfouies dans l’enfance, expliquent une bonne partie des blocages d’adultes. Pour aller de l’avant, il s’agit avant tout de réaliser que ce sont ces lois et commandements qui nous coincent. Nous ne sommes ni peureux ni incapables. Nous nous sentons piégés parce que notre état d’esprit est contraint par une cage formée à l’enfance. Toutefois, c’est à présent notre responsabilité d’en prendre conscience et de l’étudier pour la démanteler patiemment. Au cours de ce processus, on se rendra compte qu’être adulte signifie aussi que nous n’avons plus à subir les dynamiques familiales dans lesquelles nous sommes né.es ; elles n’ont plus à nous définir. Nous n’avons plus besoin de protéger ces figures parentales, dont les tabous et les névroses nous rendirent malades. Bien qu’il soit légitime d’être attristés par les « lois » que ces humains, imparfaits, nous ont imposées (souvent sans aucune malveillance consciente), il serait bon de reconnaitre qu’il est vital de les mettre de côté pour s’en émanciper et pour renouer avec un des droits fondamentaux qu’est la liberté émotionnelle. Pour ce faire, il nous faudra certainement  être déloyal à une manière d’être qui protégeait une personne qui nous importait ou de qui l’on dépendait – afin de faire justice à quelqu’un d’encore plus important : soi-même.

By The School of Life

Partager cet article

Articles en lien

La vulnérabilité en entreprise, une thématique essentielle.

Pour commencer, il nous semble essentiel de faire le point sur l'étymologie du terme "vulnérabilité": du latin vulnerare, qui signifie "blesser, endommager, faire mal à". La vulnérabilité est le caractère de ce qui est fragile, précaire, de…

Voir