05/02/2019
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Sur le Pardon
En réalité, se faire manquer de respect est un phénomène assez banal. Quelqu’un ne tient pas sa parole, n’assure pas son engagement, il manque de nous porter une assistance logistique, déçoit nos attentes, trahit notre confiance. De tels événements se jouent aussi sur la scène publique : des hommes politiques manquent d’intégrité, des dirigeants économiques nous trompent, des criminels intimident et terrifient…
Considérer que la transgression ne mérite pas le pardon est compréhensible. Le «mal » médiatisé est souvent si démesuré que chercher à comprendre les malfaiteurs, ou se mettre à leurs places, semble sans intérêt. Incrédules devant ce mal, nous plaidons que c’est la folie qui motive certaines personnes à commettre de telles horreurs. Ces fous, ces malades, ces pervers sont simplement des personnes viscéralement mauvaises ! Par conséquent, l’approche libérale qui s’intéresse aux ressorts psychologiques sous-jacents, est une perte de temps naïve ; et le pardon sous son vernis de charité, est un signe de faiblesse. Cultiver une rancune obstinée permettrait de se protéger du chaos et de la désintégration sociale. Une civilisation trop indulgente ne s’en sortirait pas.
Il suffit d’observer notre attitude envers les enfants pour constater qu’il nous arrive de pardonner spontanément. Nous savons voir au travers des caprices d’un enfant, conscient qu’ils sont les signes de faim, de fatigue, d’inquiétude ou de peine. Nous sommes déjà bien capables d’indulgence, il pourrait suffire d’élargir la catégorie de personnes à qui nous offrons cette patience. N’est-il pas plus difficile d’en vouloir à son partenaire lorsque nous avons sous les yeux une photo nous rappelant de l’enfant dont il est l’adulte ?
Enfin, il est essentiel de reconnaître que le pardon n’est pas un signe de faiblesse. Le pardon est d’autant plus beau et émouvant lorsqu’il est réalisé par une figure respectée qui la reconnaît comme un signe de maturité, de sagesse et de générosité.
L’indulgence et le pardon méritent d’être « glamourisés ». Les grandes religions le pressentaient. Du Bouddhisme au Judaïsme en passant par la Chrétienté proposent toutes différentes manières d’inciter et d’encourager le pardon. Les poèmes lus devant la Synagogue les jours d’Expiation, les cycles de chant du Bouddhisme oriental, la mélancolie du morceau de Bach « Les Passions de St Jean », tous visent à générer la compassion du public vis-à-vis la folie humaine. Si aujourd’hui nous sommes plus enclin à la critique qu’à l’indulgence, pourrait-ce être dû au déclin de la foi religieuse qui était autrefois la principale source d’inspiration de clémence et de pardon ? Effectivement, à l’époque c’était en pratiquant sa religion que nous avions accès aux œuvres d’art mettant en scène le pardon. Aurait-on donc besoin de la Culture et de ses histoires pour nous inspirer à incarner les parties les plus distinguées de la nature humaine ?
Certains craignent que l’indulgence et le pardon compromettent l’ordre social. Mais, en réalité, il se pourrait que ce soit l’exigence d’une réparation exacte du tort commis qui empêcherait l’évolution d’une civilisation (et à plus petite échelle, d’un mariage, d’un couple, d’une amitié, d’une collaboration professionnelle…) L’Histoire montre qu’une société pérenne se base sur le pardon héroïque de groupes de personnes terriblement blessées.
Sans cet acte gracieux, la société ne pourrait ni aller de l’avant, ni faire de ses échecs des marches de progrès, des leçons de sagesse. Ne pas donner à l’agresseur le pouvoir de définir nos valeurs et nos principes, ne pas le laisser nous abaisser à son niveau et nous abattre à jamais, relève d’un savoir-faire à la lisière de l’art. C’est le pardon qui est la vraie victoire contre le mal, la preuve ultime de force et de courage.