06/19/2020
All, Amour
Comment choisit-on son partenaire ?
Carlos Duran, Le Baiser,1868
Comment choisit-on les personnes dont-on tombe amoureux ? Les Romantiques auraient tendance à répondre que ce sont nos instincts qui, naturellement, nous guident vers ceux qui sont bons pour nous.
L’amour, est une forme d’extase qui se propage lorsque l’on se sent en présence d’une âme bienveillante et enrichissante, qui répondrait à nos besoins émotionnels, comprendrait nos tristesses et nous soutiendrait dans les difficultés de la vie.Pour trouver un amant, nous devons nous laisser mener par nos instincts, en prenant soin de ne jamais les entraver par de pédantes analyses psychologiques, ni les miner par trop d’introspection, ni les ruiner par d’autres considérations matérielles ou sociales.
Nos sentiments se manifesteront avec suffisamment de clarté pour qu’ils s’imposent à nous, une fois que nous aurons embrassé notre destin. Demander à quelqu’un d’expliquer objectivement pourquoi ils ont choisi, en particulier, ce partenaire plutôt qu’un autre relève – dans la logique Romantique – d’une méconnaissance du sentiment amoureux : l’amour vrai est instinctif, l’amour se pose avec précision et évidence sur ceux qui pourront nous rendre heureux.
L’approche Romantique semble chaleureuse et douce. Il est certainement apparu à ses concepteurs qu’elle mettrait un terme au schéma aux relations malheureuse imposées par les parents et la société. La seule difficulté se situe dans les résultats souvent désastreux qu’une écoute trop assidue de notre instinct provoque. Il suffit de regarder ces sensations particulières que l’on ressent parfois pour certaines personnes dans une boite de nuit, ou sur un quai de gare, dans une soirée ou sur un site internet, et que les Romantiques célébrèrent si glorieusement à travers les oeuvres d’art, qui pourtant ne semblent pas nous avoir rendu nos unions plus heureuses que celles d’un couple souverain marié de force aux temps de la royauté médiévale (…). L’instinct n’est donc pas une valeur plus sure que la préméditation de nos familles pour garantir une histoire d’amour réussie.
Tout cela ne suffirait cependant pas à décourager un romantique. Cela impute simplement les difficultés que l’on rencontre souvent en amour à un manque de persévérance dans la recherche de la « bonne personne » – une des figures de proue de l’imaginaire romantique -. Cet être, la « bonne personne », se trouve indubitablement quelque part, toute âme possédant son âme soeur, le Romantisme nous assure-t-il. c’est simplement qu’on ne l’a pas dénichée, pour l’instant. Nous nous devons donc de poursuivre nos recherches, en employant toute la ténacité et tous les moyens requis, et c’est peut-être une fois le divorce prononcé et la maison vendue que le dénouement viendra, qui sait.
Pietro Roi, La mort de Roméo et Juliette, 1866
Cependant, il existe une autre école de pensée, cette fois influencée par la psychanalyse, qui remet en jeu l’idée que l’instinct, indubitablement, nous conduit vers ceux qui nous rendront heureux. Cette théorie assure que l’on ne tombe pas amoureux d’emblée avec ceux qui nous aiment de la meilleure façon, mais avec ceux qui nous aiment de la manière dont on a l’habitude d’être aimé. La manière que l’on a d’aimer adulte provient du schéma – comment on devrait être aimé – apparu dans l’enfance, et qui lie probablement un ensemble d’habitudes mauvaises qui font particulièrement obstacle à nos horizons de développement.
Contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas le bonheur que l’on recherche en amour, mais bien la familiarité. Nous cherchons à reproduire, dans les relations que nous entretenons adultes, les mêmes sentiments que ceux que nous ressentions enfants, et qui souvent ne se limitaient pas uniquement à la tendresse et à l’attention. L’amour dont la plupart d’entre nous a fait l’expérience dans son enfance se confondait avec d’autres sentiments moins nobles : l’envie d’aider un adulte en difficulté, l’absence de chaleur par un des deux parents, ou la peur des colères de l’un ou de l’autre, ou le sentiment de ne pas être suffisamment en confiance pour partager nos pensées les plus épineuses.
C’est ainsi que, en toute logique, nous nous voyons rejeter, adultes, certains candidats, non pas qu’ils ne soient pas de bons candidats, mais ils nous semblent un peu trop bien, – ils nous apparaissent, d’une certaine manière, trop équilibrés, trop matures, trop à l’écoute et trop compatissants – … Sentiment qui, bien que juste, demeure étranger à notre coeur qui ne croit pas le mériter.On court plutôt après d’autres personnes, plus excitantes, pas tant en croyant que la vie auprès d’eux serait plus harmonieuse, mais emmenés par le sentiment inconscient que les événements et la frustration qu’ils produiraient seraient familièrement rassurants. Le processus d’identification du partenaire se nomme, en psychanalyse, « the object Choice », et il est recommandé d’essayer d’identifier les facteurs, plus ou moins conscients, qui gouvernent nos attirances pour faire cesser les schémas malsains qui peuvent se répéter. Nos instants – ces sentiments sous-jacents d’attirance et de rejet – proviennent d’expériences difficiles survenues lorsque l’on était encore trop jeune pour les comprendre, et qui subsistent dans un recoin de notre esprit.
Les psychanalystes n’espèrent pas avancer que tout ce qui attrait à nos attirances sera déformé. Si nous avons de légitimes aspirations vers les qualités positives comme l’intelligence, le charme, la générosité … Nous avons aussi des tendances à être invariablement attirés par de comportements plus controversés: une personne fréquemment absente, qui s’adresse à nous avec dédain, qui a besoin d’être constamment entourée d’amis, ou ne sait pas gérer son porte-monnaie. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, sans ces comportements et travers , on peut ne pas être en mesure de ressentir de la passion, ou de la tendresse pour l’autre. En même temps, on peut également avoir été si traumatisé par une figure parentale, que l’on ne peut pas envisager un partenaire qui partagerait avec le parent une quelconque qualité, même positive. Il arrive qu’en amour on soit absolument rebuté par une personne intelligente, ponctuelle, scientifique, simplement parce-que ces traits sont aussi ceux de quelqu’un qui, auparavant, a pu nous causer un grand tort.
Pour choisir judicieusement son partenaire, il faut réussir à séparer ce qui, lorsque l’on est attiré par quelqu’un, relève de souffrance passées et interfère dans les émotions.
Une des manières de commencer ce travail – plutôt accompagné d’une pile de feuilles blanches, d’un bon stylo, avec l’après-midi devant soi – peut être de se demander quel type de personne nous rebute particulièrement. Le rejet et le dégoût sont de bons points de départ, dès lors que nous reconnaissons aisément certains des traits qui nous font frissonner – de dégoût – ne sont pas si terribles et pourtant discréditent instantanément la personne à nos yeux. Il se peut, par exemple, que l’on sente qu’une personne nous posant trop de questions personnelles, ou particulièrement tendre et dépendante, nous apparaisse inquiétante voire effrayante. Il se peut tout à fait également que, le long du chemin, l’on reconnaisse qu’une certaine part de cruauté, ou de froideur, fasse partie de la curieuse liste de choses qui nous semblent indispensables pour aimer une personne.
Il se peut qu’il soit compliqué de ne pas s’auto censurer sur cet exercice, mais l’idée n’est pas de se présenter sous un jour rassurant, prévisible, mais bien d’apprendre à connaitre les curieux recoins de notre propre psyché. Nous trouverons sans doute que certaines qualités – particulièrement agréables – font partie de nos préférences amoureuses : les personnes éloquentes, intelligentes, fiables, solaires. Ces connaissances sont indispensables. Il faudrait s’arrêter un instant, et tenter de percer d’où les aversions peuvent venir, quels aspects de notre passé ont rendu si difficile, pour nous, d’accepter de recevoir certaines formes d’émotion.
Une autre façon d’atteindre les associations d’émotions qui circulent puissamment dans les coins les plus discrets de notre cerveau est de terminer des phrases tronquées, qui nous invitent à réfléchir, pour répondre, aux choses susceptibles de nous charmer ou de nous repousser chez une personne. On est plus réceptif à sa réaction lorsque l’on couche les choses sur le papier sans trop y réfléchir, en laissant parler son inconscient. Par exemple, nous pouvons volontairement noter les premières choses qui nous viennent à l’esprit lorsque nous lisons ce qui suit :
Si je dis à mon partenaire à quel point j’ai besoin de lui, il va …
Quand quelqu’un me dit qu’il a vraiment besoin de moi, je …
Si quelqu’un ne peut pas surmonter quelque chose, je…
Quand quelqu’un me dit de me ressaisir, je …
Si je devais être franc au sujet de mes angoisses, je …
Si mon partenaire me disait de ne pas m’inquiéter, je serais…
Quand quelqu’un m’accuse injustement, je …
Décrites avec honnêteté, nos réactions sont des héritages.Elles révèlent les hypothèses sous-jacentes que nous avons intériorisées sur notre définition de l’amour. C’est alors que nous pouvons commencer à entrevoir clairement que notre perception de ce que nous recherchons en particulier chez l’autre n’est pas nécessairement le bon moyen de parvenir à être heureux seul, ou à deux.
Henri Matisse, Odalisque au coffret rouge, 1927
Si l’on passe en revue ses histoires sentimentales passées, on se rend bien compte que l’on ne peut pas être attiré par n’importe qui. En apprenant à connaître le passé, nous venons à reconnaître nos associations antérieures pour ce qu’elles sont : des généralisations que nous avons formées – ce qui est tout à fait compréhensible – sur la base d’un seul exemple ou d’exemples particulièrement impressionnants.Nous avons inconsciemment transformé certaines associations ponctuelles en règles strictes, pour les relations.
Même s’il n’est pas possible de changer radicalement une manière de penser, il est utile d’être conscient que nous portons une boule et une chaîne.Cela peut nous rendre plus attentifs à nos émotions si nous sommes submergés par la certitude que nous avons rencontré la bonne personne, après quelques minutes de bavardage dans un bar.
Finalement, nous sommes libres d’aimer des personnes différentes de celles que nous pensions aimer initialement, parce que nous réalisons que les qualités que nous aimons, et celles que nous craignons, se manifestent dans des dispositions différentes chez ces personnes, de celle que nous avons rencontrées chez ceux qui nous ont d’abord prodigué de l’affection dans notre enfance, nous permettant finalement de les comprendre et de nous en détacher.
Retrouvez la version originale de cet article sur le blog de la SCHOOL : how-we-choose-a-partner